Fumée by Ivan Tourgueniev

Fumée by Ivan Tourgueniev

Auteur:Ivan Tourgueniev
La langue: eng
Format: epub


XIV

Litvinof trouva chez Irène assez de monde. Dans un coin étaient assis à une table de jeu, trois des généraux du pique-nique : l’obèse, l’irascible et le doucereux. Ils jouaient le whist avec un mort et notre vocabulaire n’a pas de termes pour rendre la gravité avec laquelle ils donnaient les cartes, ramassaient les levées, entraient en trèfle, en carreau ; c’étaient vraiment des hommes d’État ! Laissant aux roturiers, aux bourgeois, les plaisanteries qui accompagnent ordinairement le jeu, MM. les généraux ne prononçaient que les mots sacramentels ; il n’y avait que l’obèse qui se permît, entre deux levées, de proférer énergiquement : « Ce satané as de pique ! » Parmi les dames, Litvinof reconnut celles qui avaient fait partie du pique-nique ; mais il y en avait d’autres qu’il n’avait jamais vues. Il y en avait une si vieille qu’on avait peur qu’elle ne tombât en poussière ; elle étalait des épaules décolorées, effrayantes, livides, et, la bouche cachée par son éventail, elle lorgnait langoureusement Ratmirof avec des yeux de trépassée. Celui-ci était auprès d’elle aux petits soins : on avait pour elle une grande considération dans le beau monde, parce que c’était la dernière demoiselle d’honneur de l’impératrice Catherine. À la fenêtre, costumée en bergère, était assise la comtesse Ch..., « la reine des guêpes », entourée de jeunes gens parmi lesquels se distinguait, par son air arrogant, son crâne complètement plat et l’expression brutale de sa figure, digne d’un khan de Boukharie ou d’Héliogabale, le célèbre millionnaire, le beau Finikof ; une autre dame, également comtesse, plus connue sous le petit nom de Lise, conversait avec un spirite blond, blafard, à longs cheveux ; à côté de lui se tenait un monsieur également très pâle et portant une longue chevelure ; il souriait d’un air important : au spiritisme il ajoutait le don des prophéties, et expliquait avec une égale facilité l’Apocalypse et le Talmud ; aucune de ses prédictions ne s’était réalisée, mais cela ne l’embarrassait guère, et il continuait à prophétiser. Au piano était installé le diamant brut qui agaçait tant Potoughine : d’une main distraite il frappait des accords en regardant négligemment autour de lui. Irène était sur un divan, entre le prince Coco et madame X..., ex-beauté et ex-femme d’esprit, aussi dévote que méchante : mais l’huile de sacristie avait délayé le vieux venin. En voyant Litvinof, Irène rougit, se leva et, lorsqu’il s’approcha, lui serra vivement la main. Elle avait une robe de crêpe noir, avec d’imperceptibles ornements en or, qui faisait ressortir encore davantage son teint d’une blancheur mate ; son visage respirait le triomphe de la beauté, et elle n’était pas seulement belle : une joie secrète, presque railleuse, brillait dans ses yeux à demi fermés et courait autour de ses lèvres et de ses narines.

Ratmirof s’approcha de Litvinof et, après avoir échangé avec lui quelques paroles banales, qui n’étaient pas empreintes de son enjouement habituel, il le présenta à plusieurs dames : à la vieille ruine, à la reine des guêpes, à la comtesse Lise.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.